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Strasbourg, encore une fois …

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« Depuis 2015, la France est dans un contexte de menace élevée du terrorisme, ayant subi plusieurs attentats et attaques, dont la dernière remonte à mai 2018 à Paris[1]. Et vendredi, une nouvelle tragédie. L’attaque du 11 décembre à Strasbourg a été perpétré par Cherif Chekatt au marché de Noël de Strasbourg. L’attaque est revendiquée par l’État islamique ; cette revendication est dénoncée comme « opportuniste » par le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner. » Ainsi est présenté sur Wikipedia l’événement tragique qui a frappé Strasbourg ce vendredi.

Là fut ma surprise, cet homme encore jeune a connu en France tous les services sociaux et judiciaires de son département depuis l’age de 13 ans. Il est connu des services de police comme « délinquant multirécidiviste depuis son plus jeune âge ». Il compte 67 antécédents judiciaires, dont 27 condamnations en France, en Allemagne et en Suisse pour des faits de droit commun.

Dès l’attentat de Charlie Hebdo, je re-posais dans les Actualités Sociales Habdomadaires cette question  : « Réhumanisons ensemble la protection de l’enfance ! », Paris, ASH du 31-01-2015. La suite en est ma participation au travail On Psychoanalysis and violence, que je vous ai présenté le … . D’un coté je ne suis pas surprise que les événements portent crédit à mes questions, de l’autre autant de surdité depuis 40 ans me désespère.

Ci-après, je vous propose ici un extrait à la traduction très remaniée.

Saturday Dec. 15, 2018. (AP Photo/Jean-Francois Badias) Article Le Monde lundi sur le net.

…/…

Ce fond technique et réglementaire (d’organisation du social : justice, école, médecine, aide et travail social) produit inévitablement des effets, dont l’enfermement de certaines personnes dans des répétitions que ces mesures-mêmes étaient censées amender, guérir, empêcher. N’avais-je pas interrogé ma position et ma jouissance, celles de mon pouvoir sur l’enfant ? Aurais-je moi aussi répété ma propre enfance, comme pour confiner l’enfant dans la sienne ? C’est ainsi que, lorsque la question de la jouissance de l’Autre Social est ignorée de la transmission du savoir des praticiens, certains sujets se retrouvent induits à répéter la violence qui a conduit à leur exclusion sociale. Ils échappent par inadvertance aux objectifs d’un système construit sur les seuls principes technocratiques: ayant été reçus comme insupportables, ils répètent sans cesse l’abandon parental, la violence et/ou la haine qu’ils ont subies. Des recherches, tel le travail de Philippe Declerck sur les sans-abris, révèlent la véritable portée de cette orientation, qui implique leur défaut à tenir compte de la répétition. Il met en lumière les dépendances que ces cadres visent à guérir, et au contraire accroissent la gravité sociale des exclusions et passages à l’acte. 

Ce phénomène est mondial – approche technocratique et administrative «universalisée» des liens sociaux et des troubles psycho-sociaux et mentaux. Les pays anglophones n’ont pas été épargnés. Lors d’une conférence à New York, au début de 2016, quatre lectures de psychanalystes (suédois, américain, allemand et italien) ont mis en évidence l’escalade provoquée par cette ignorance, en examinant l’histoire de trois tueurs «solitaires»: Andreas Lubitz, Adam Lanza et Anders Breivik.

Le Dr Frank Lachmann a analysé ces présentations en se concentrant sur l’observation suivante: ces «loups solitaires» ont en commun d’avoir essayer sans y parvenir d’oublier, dans les yeux des autres et du monde, le pouvoir absolu et la violence de leur vécu infantile. Les engrammes traumatiques de leur enfance. Lachmann a souligné : bien que la plupart des travaux aient tenté d’expliquer les actions violentes de ces jeunes adultes en examinant leur enfance chaotique et déstructurante, peu de chercheurs ont prêté attention au fait que, en tant qu’enfants, ces personnes tentaient surtout de faire appel à d’autres formes de présence que la folie destructrice qu’ils avaient vécue dans leur propre chair. Pourtant, chaque fois ces actes terrifiants sont attribués au syndrome de Stockholm ou à l’identification avec la jouissance sadique de l’agresseur ; il semble y avoir chez les professionnels une supposition que l’environnement premier traumatique est seul à la manœuvre de ces situations, et le reste. Lachman écrit à propos de Lubitz: « il a consulté 41 médecins, y compris les psychiatres et les psychothérapeutes, 41 professionnels. Qu’est-ce qui se représente ici et qui est continuellement renforcé? […] Apparemment, Lubitz a informé ces professionnels de ses sentiments. Et à son tour, il est probablement devenu de plus en plus désespéré, car il a rencontré 41 expériences de (rencontres) ratées. »

 Leur demande ravalée dans leurs passages à l’acte non prise en considération, les laisse désespérés, sans-abri, noyés, errants sans but… après n’avoir trouvé pas plus de place dans le monde, que ce qu’ils avaient reçu dans leur propre famille. 

Son analyse résume la situation d’organisations sociales du « bien-être » fondé sur une logique exclusivement technocratique. En termes lacaniens, nous dirions qu’elle pousse à jouir. Les lectures de ces événements tragiques révèlent que l’emprise sadique de la situation familiale, l’insécurité, la souffrance de ces enfants, cette expérience traumatisante devient la pierre angulaire de leur passage à l’acte. Comme si dans ces cas, les praticiens, comme les individus eux-mêmes, étaient inévitablement obligés de subir ces répétitions dans une totale impuissance. Personne, Lachman observe, ne pense au fait qu’une réponse, « un geste accueillant » offert à ces êtres perdus, aurait pu leur apporter une certaine paix, là où ils n’étaient capables que d’articuler un appel à l’aide à la répétition sans limites de la violence de leur enfance.

En fait, n’attendaient-ils pas de rencontrer, dans la société en général, des êtres suffisamment présents et humains, suffisamment réceptifs exigeants et affectueux, d’une affection et une présence aptes à transmettre une certaine humanité, donc les limites – refus en acte de la violence, nécessité incontournable de la mise en mots et paroles, qui pourraient soulager leurs sentiments d’être écrasés et exclus ? Dans leur relation avec ces professionnels, pourquoi y a-t-il tant de répétitions-reproductions de l’abandon et de l’insignifiance de leur vie familiale antérieure ?

Lachmann répond à cette question: ces jeunes ont évolué vers des actions violentes parce qu’ils n’ont pas été entendus, parce que personne n’est venu à leur aide quand ils étaient brutalement laissés tombés par leurs famille. Personne n’est venu s’engager dans le transfert, comme espace d’accueil et d’appui, à cette relation de réponse à leur appel qui aurait pu leur permettre d’ouvrir et d’inventer pour eux-mêmes un monde relationnel plus pacifique et culturellement plus nourrissant. Tout en faisant valoir que tel est l’état actuel de notre pensée conceptuelle, Lachmann soulève néanmoins la question de notre responsabilité de psychanalystes, dans un système incapable d’aider ces sujets à s’ouvrir au monde; il nous demande de nous demander pourquoi tant de professionnels ont continué d’ignorer l’affect et la demande d’amour de ces appels à l’aide en se basant sur un mode d’analyse exclusivement comportementale, au nom de la technologie, pour se protéger des douleurs de la répétition-reproduction quand il s’agit d’offrir au sujet en ad-venir une limite propre à contenir et refuser ses violences. Ils ont au fond refusé de les mettre au travail du transfert, au travail de leur relation aux autres et au monde. Ce refus n’est-il pas le reflet de leur rejet de la mise au travail de leur propre relation aux autres et au monde ?


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